37e Conférence régionale de la FAO : l’Amérique latine et les Caraïbes, enjeux et perspectives
Jose Luis Fernandez
Représentant, FAO Haiti
Le dernier rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, publié par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture ( FAO) en collaboration avec le Fonds international de développement agricole (FIDA), l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), a révélé que «en 2020, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde a continué d’augmenter, de sorte que 720 à 811 millions de personnes ont été confrontées à la faim, soit 118 millions de plus qu’en 2019 si l’on prend en compte le milieu de la fourchette (768 millions) et jusqu’à 161 millions de plus si l’on prend en compte la limite supérieure de la fourchette » (Figure 1). « Toujours en 2020, la progression de l’insécurité alimentaire modérée ou grave a été la plus marquée en Amérique latine et dans les Caraïbes. […] .Sur les 2,37 milliards de personnes en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave, la moitié (1,2 milliard) vit en Asie, un tiers (799 millions) en Afrique et 11 pour cent (267 millions) en Amérique latine et dans les Caraïbes.”
C’est dans ce contexte que s’est tenue en mode hybride (virtuel et présentiel) à Quito, en Équateur, du 28 mars au 1er avril 2022, la 37e Conférence régionale de l’Amérique latine et des Caraïbes de la FAO, avec la participation de 41 ministres et 23 vice-ministres d’État de 33 États membres. La Conférence régionale est une conférence bisannuelle qui fait désormais partie de la structure de gouvernance de la FAO. C’est une opportunité pour les pays membres de la région de se positionner et d’établir leurs lignes directrices en ce qui concerne l’alimentation et l’agriculture notamment lorsque l’on considère la contribution de l’Amérique latine et des Caraïbes à l’alimentation mondiale.
Participant en présentiel à la Conférence régionale, le Directeur Général de la FAO, M. Qu Dongyu, n’a pas manqué de souligner que : “Cette région dispose de richesses exceptionnelles : elle représente 13 pour cent de la valeur de la production agricole et halieutique mondiale et détient 34 pour cent des ressources en eau douce disponibles dans le monde, et la biodiversité y est la plus abondante à l’échelle de la planète”. Il a poursuivi en rappelant que “ les denrées alimentaires que vous produisez et exportez conditionneront la nutrition de millions d’hommes, de femmes et d’enfants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la région. Et vos choix en matière de développement de votre agriculture, de votre secteur forestier, de la pêche et de l’élevage auront des répercussions sur le climat mondial ainsi que sur les écosystèmes et la biodiversité de chacun de vos pays.”
En Haïti, le Cadre Intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), réalisée en février 2022, par la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA) avec la collaboration, entre autres, de la FAO, indique que 1,32 million de personnes (13 % de la population analysée) sont classées en situation d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) et 3,18 millions de personnes (32 %) en situation de Crise (Phase 3 de l’IPC), soit 4,5 millions de personnes (45 %) ayant besoin d’une aide urgente. Il faut noter que dans la région, quatre autres pays ont réalisé des analyses IPC : le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et le Salvador. Au total pour ces cinq pays, l’insécurité alimentaire aiguë est passée de 11,8 millions de personnes en crise ou pire (Phase 3 de l’IPC ou plus) en 2020, à près de 12,8 millions de personnes en 2021. En Haiti, la situation est la plus préoccupante, car les 4,5 millions d’Haïtiens en phase 3 et plus représentent 35% de la population totale.
Fondamentale pour Haïti, la Conférence a permis au pays de souligner ses défis propres, de faire mention de ses progrès, mais surtout de partager sa vision régionale en matière de sécurité alimentaire, d’agriculture, de pêche, de foresterie et de gestion des ressources naturelles dans un contexte de changement climatique et de fragilité face aux catastrophes naturelles. Le Premier Ministre d’Haïti, Ariel Henry, qui participait en mode virtuel à cette Conférence, a indiqué dans son allocution que: “ des progrès ont été réalisés, mais, nous sommes tous d’accord pour affirmer que les principaux facteurs qui compromettent la sécurité alimentaire et la nutrition dans le monde sont quasiment invariables. […] A cet effet, je fais appel à un renforcement des Programmes de Coopération Technique (PCT) de la FAO au niveau de la région, pour aider les pays, selon leurs besoins, dans la formulation et l’opérationnalisation des politiques publiques dans le sens de l’objectif « de réduction de la pauvreté, de la faim et de la malnutrition, d’ici à 2030. Aussi, le Gouvernement haïtien continuera à travailler avec la FAO dans le cadre de l’initiative « Main dans la Main » qui vise à accélérer la transformation agricole et le développement rural durable.”
Lors de la Conférence, le rôle que la FAO aura à jouer auprès des pays membres a été précisé afin de mettre en place de façon consensuelle, les mécanismes devant permettre d’atteindre les objectifs fixés par les pays lors de l’évènement. En effet, la direction que prendra l’Organisation dans les deux prochaines années dépendra essentiellement de l’orientation que les États membres, notamment Haïti, ont donné à l’évènement. Comme l’a rappelé le Directeur Général de la FAO M. Qu Dongyu: « Ces priorités régionales sont les racines qui permettront au Cadre stratégique 2022-2031 de la FAO de s’implanter fermement dans les sols fertiles de cette région. La transformation des systèmes agroalimentaires de la région ne pourra aboutir que si vous vous l'appropriez et en faites l’objet de votre engagement et de vos plans d’action. Vous devez en prendre la direction, car la FAO est votre organisation et est déterminée à œuvrer en faveur de vos priorités. »
Afin d'adapter le Cadre stratégique de la FAO 2022-2031 aux conditions locales de l'Amérique latine et des Caraïbes, les pays ont défini les priorités régionales suivantes : (i) des systèmes agroalimentaires durables ; (ii) des sociétés rurales prospères et inclusives ; et (iii) une agriculture durable et résiliente. Ces trois piliers guideront le travail de l'Organisation pendant la période 2022-2023 en général et en Haïti en particulier, de manière à ce que le pays puisse faire face de manière profonde et durable aux défis spécifiques qu’il rencontre.
Pour ma part, en tant que Représentant de la FAO en Haïti, il est important pour moi de souligner que la FAO, en plus de sa collaboration avec les pays sur le plan régional pour atteindre les objectifs définis lors de la Conférence, continuera d’apporter son appui aux Institutions nationales haïtiennes pour l’opérationnalisation des politiques et stratégies développées en vue d’éliminer la pauvreté, la faim et la malnutrition. La FAO entend également consolider son soutien afin d’atténuer l’impact négatif du changement climatique, de renforcer la résilience des ménages ruraux et d’améliorer la gestion des ressources naturelles et les modes de production et d’alimentation. Je tiens finalement à souligner que la FAO s’engage en même temps pour le renforcement de la résilience agricole des ménages en situation d’urgence d’une part, et dans les programmes de développement agricole d’autre part, et contribuer ainsi au Nexus Humanitaire- Développement et Paix.