La situation en Haïti est « intenable », selon le chef des droits de l’homme de l’ONU
Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a exhorté mercredi la communauté internationale à agir rapidement et de manière décisive pour empêcher qu’Haïti ne sombre davantage dans le chaos.
L'évasion massive de prisonniers le weekend dernier a été décrite par les autorités haïtiennes comme une menace mortelle pour la sécurité nationale, a souligné M. Türk dans un communiqué de presse.
Plus de 4.500 détenus se seraient évadés, parmi lesquels des membres éminents de gangs et des personnes arrêtées dans le cadre de l'assassinat du Président Jovenel Moïse. Cette évasion intervient à la suite d’une action coordonnée des gangs contre les institutions nationales dans le but déclaré de faire tomber le gouvernement.
Système de santé au bord de l'effondrement
« Cette situation est plus qu’intenable pour le peuple haïtien », a dit le Haut-Commissaire. « Depuis le début de l’année, 1.193 personnes ont été tuées et 692 blessées du fait de la violence des gangs – des chiffres choquants ».
« Le système de santé est au bord de l'effondrement. Les hôpitaux n'ont souvent pas la capacité de traiter les personnes blessées. Les écoles et les entreprises sont fermées et les enfants sont de plus en plus exploités par les gangs. L'économie est asphyxiée car les gangs imposent des restrictions aux mouvements de la population. Le principal fournisseur d'eau potable en Haïti a cessé ses livraisons. Au moins 313.000 personnes sont actuellement déplacées à l'intérieur du pays », a-t-il ajouté.
Dans la perspective de la réunion du Conseil de sécurité prévue mercredi à huis-clos sur la situation en Haïti au siège des Nations Unies à New York, M. Türk a appelé encore une fois au déploiement urgent, sans plus attendre, de la Mission multinationale d'appui à la sécurité en Haïti, afin de soutenir la Police nationale haïtienne et d'apporter la sécurité au peuple haïtien, dans des conditions conformes aux normes et standards internationaux en matière de droits humains.
« La réalité est telle que, dans le contexte actuel, il n'y a pas d'alternative pour protéger la vie des gens », a déclaré le Haut-Commissaire. « Le temps nous est compté ».
María Isabel Salvador Représentante spéciale du Secrétaire général et cheffe du Bureau Integré des Nations Unies en Haïti (BINUH) devait faire exposé devant les membres du Conseil de sécurité.
Des milliers de personnes prises au piège des violences
Plus tôt dans la journée, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) a alerté sur la situation de milliers de personnes prises au piège des récentes violences dans la capitale Port-au-Prince.
Les violences causées par les gangs armés dans la capitale haïtienne ont entrainé depuis le 29 février dernier le déplacement de plusieurs milliers de personnes et rendu extrêmement périlleux l’accès aux services sociaux de base, aggravant davantage un quotidien déjà précaire.
Plus de 15.000 personnes, dont la majorité était déjà déplacée, ont été déplacées de nouveau au cours de ces derniers jours. La plupart a trouvé refuge dans des sites existants, le reste s’installant dans de nouveaux sites créés de façon spontanée.
Basculement dans la précarité
« Haïti fait face à une crise humanitaire et de protection très complexe. A chaque épisode de violence, ce sont des milliers de personnes qui basculent dans la précarité et ont besoin d’aide d’urgence », a déclaré dans un communiqué la Coordonnatrice humanitaire de l’ONU dans ce pays, Ulrika Richardson, relevant que « ces violences ne peuvent pas continuer, elles doivent s’arrêter ».
Port-au-Prince est sous état d’urgence et couvre-feu depuis dimanche, après la libération par des bandes armées de milliers de détenus. Mais selon les rapports des médias, un calme relatif est revenu hier mardi. « Les acteurs humanitaires doivent pouvoir accéder, sans entrave, aux populations les plus vulnérables. Au-delà de l’aide humanitaire, Haïti a besoin de plus de solidarité internationale à ce moment crucial », a dit Mme Richardson.
En attendant, les récentes violences continuent « d’endeuiller et de traumatiser des milliers de familles », notamment des enfants et les femmes, et de les plonger dans un profond désarroi. Selon l’OCHA, des milliers de personnes se retrouvent aujourd’hui sans protection, sans sécurité, exposés à tous les risques.
Des dispensaires fermés
Les acteurs humanitaires sont fortement préoccupés par les conséquences des violences sur les hôpitaux, les centres de santé et les écoles de Port-au-Prince et de certaines villes dans les départements. De nombreuses infrastructures sanitaires sont fermées ou ont fortement réduit leurs opérations en raison d’une inquiétante pénurie de médicaments et de l’absence de personnel médical.
A ce jour, un seul établissement majeur de Port-au-Prince est opérationnel. Plusieurs centaines d’écoles sont fermés ou fonctionnent de façon irrégulière. « Les personnes déplacées et les populations vulnérables ont besoin d’aide d’urgence et d’espaces sûres et protégés. Les acteurs humanitaires sont prêts à apporter immédiatement l’aide d’urgence ».
Sur le terrain, l’accès à la nourriture, aux soins de santé, à l’eau et aux infrastructures d’hygiène et à l’assistance psychologique sont parmi les besoins les plus urgents. Ces familles n’ont pas d’autre moyen pour subvenir à leurs besoins de base.
« Les acteurs humanitaires restent engagés auprès de la population et ont entamé la fourniture d’aide d’urgence mais la persistance et l’expansion des violences ont fortement perturbé les opérations », a conclu la Coordonnatrice humanitaire de l’ONU.
Haïti est confronté à une profonde crise politique, humanitaire et sécuritaire aggravée par l’assassinat de Jovenel Moïse, avec un processus politique dans l’impasse totale.
Lors d'un point de presse au siège de l'ONU, le porte-parole du Secrétaire général, Stéphane Dujarric a déclaré que « chaque heure empire pour Haïti ».
Les médias rapportent désormais qu'un chef de gang menace de déclencher une guerre civile si le Premier ministre haïtien Ariel Henry ne démissionne pas. M. Dujarric a précisé que l'ONU continuerait à suivre la situation de près.
Plan de réponse financé à hauteur de 2,5%
En 2023, la violence perpétrée par les gangs armés contre la population haïtienne a continué de se propager dans le pays, atteignant des zones rurales isolées à mesure que la présence de l´Etat s’érodait.
Selon l’ONU, plus de 8.400 personnes ont été victimes de la violence des gangs en 2023, ayant été tuées, blessées ou enlevées, « une augmentation de 122% par rapport à 2022 ».
Près de 5,5 millions de personnes, soit près de la moitié de la population du pays, ont besoin d’une aide humanitaire.
Malgré les contraintes sécuritaires, les partenaires humanitaires de l’ONU sur le terrain ont commencé de fournir de la nourriture, des kits d’hygiène et de santé, des matelas, des couvertures, des draps et des lampes.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) et ses partenaires ont livré quelque 5.500 repas chauds à quelque 3.000 personnes vivant dans les trois nouveaux sites de déplacement, tandis que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a également commencé à distribuer du matériel pour construire des abris d’urgence à plus de 300 familles.
Le Plan de réponse aux besoins humanitaires d’Haïti, d’un montant de 674 millions de dollars cette année, n’est actuellement financé qu’à hauteur de 2,5%, soit un total de 17 millions de dollars.
Cet article a été publié dans ONU Info.