Dialogue haïtien sur l’économie et l’environnement
Allocution de Fernando Hiraldo, Coordonnateur Résident des Nations Unies a.i.
Journée Mondiale de l’Environnement – 5 juin 2022
Monsieur le Ministre,
Madame et messieurs les économistes,
Distingués invités et participants,
Notre modèle économique, dit « classique » a été forgé dans le creuset de la révolution industrielle. Il s’est renforcé, théorisé, et déployé à travers le monde dans une grande vague de globalisation qui s’est traduite par un essor, unique dans l’histoire humaine, de la capacité d’extraction, de transformation, de production, d’échange et de consommation de biens matériels. Il a permis une création colossale de richesse matérielle, d’innovation et de progrès technologique, et l’accès de plus en plus démocratisé à des niveaux de vie et de prospérité inégalés.
Mais cette création de richesse à l’échelle globale a un prix, et notamment un prix environnemental. La planète s’essouffle alors que l’homme semble en atteindre les limites. Les ressources naturelles s’amenuisent. Les services rendus par les écosystèmes s’effondrent. Les pollutions pèsent de plus en plus lourdement sur les sociétés et les économies. Ces multiples crises planétaires affectent l’économie globale et questionnent le modèle classique dominant.
Dans ce contexte global de dérèglements croissants, Haïti est dans une situation tragique. Il est à la fois parmi les pays les plus exposés aux crises et catastrophes environnementales, et les plus vulnérables et moins en capacité de se préparer et de faire face aux menaces directes et indirectes. Son héritage naturel a été très largement exploité et dégradé, sans toutefois que cela permette de bâtir un capital humain, socioéconomique, financier ou infrastructurel et technologique robuste et avancé.
En Haïti comme à l’échelle mondiale, les hommes et les femmes doivent faire la paix avec la nature. Cette paix passe aussi par la réconciliation entre les enjeux environnementaux et le modèle économique qui détermine nos modes de production, de consommation et de redistribution des ressources et des richesses.
Dans le contexte Haïtien actuel, il est difficile de sortir des urgences quotidiennes. Peu d’intellectuels, de chercheurs, de leaders économiques ou politiques, d’acteurs influents de la société civile disposent du temps et des opportunités de prendre du recul, d’analyser et d’échanger sur ces problématiques critiques pour l’avenir du pays.
Tel était l’objectif de l’ONU en appuyant le Ministère de l’environnement dans l’organisation de ce panel. Réunir des économistes d’horizons différents, mettre à disposition un socle de faits et de données essentielles pour comprendre les crises environnementales à l’échelle globale, et créer cet espace de dialogue pour croiser des perspectives, construire des idées et, nous l’espérons, faire émerger des solutions économiques et environnementales pour avancer vers un futur désirable pour la population haïtienne.
Je me réjouis de voir qu’en moins de deux heures, des pistes à fort potentiel ont déjà pu être tracées…
Actons que la question de la compatibilité entre le modèle économique dominant et la protection de la planète fait l’objet de vifs débats. Des convergences semblent néanmoins se dégager sur l’ampleur des crises environnementales et sur une double nécessité : d’une part de mettre le système économique à contribution pour une restauration urgente de l’environnement en Haïti ; et d’autre part d’ancrer le modèle de développement économique dans les solutions que nous offre la nature.
Des chantiers innombrables s’ouvrent ainsi devant nos économistes, nos environnementalistes et les décideurs politiques qui seront amenés à s’inspirer de ces réflexions. Il faut par exemple renforcer notre compréhension qualitative et quantitative des liens entre les dérèglements climatiques, les services rendus par les écosystèmes et leur dégradation, les pollutions, et les politiques macro-économiques et associées aux différents secteurs économiques, aux investissements, aux règles commerciales et fiscales, etc.
Il y a aussi une opportunité remarquable à rassembler l’ensemble des forces vives du pays derrière une grande cause nationale en faveur de l’environnement, par exemple à travers une campagne de reboisement national qui promeuve à la fois l’intégrité environnementale, un aménagement territorial et un usage des sols résilients et productifs, une gouvernance plus efficace bâtie sur la redevabilité des acteurs économiques et la gestion conjointe des ressources naturelles par les communautés, et qui alimente l’émergence de pratiques économiques durables autour de l’agroécologie et des chaînes de valeur agricoles, des énergies renouvelables, de l’industrie et de la construction vertes suivant les principes de circularité…
J’espère ainsi que ce débat en encouragera d’autres. Qu’il puisse susciter l’intérêt des Haïtiennes et des Haïtiens à exiger et à accéder à plus d’information sur cet enjeux de la réconciliation entre l’environnement et les politiques économiques en Haïti, à interpeler les décideurs sur les directions qui sont prises et à participer, avec engagement et vigilance, à la transformation du pays vers la résilience et la prospérité.
Merci