Haïti : Violences dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, Rapport de situation #3, au 26 mai 2022
Ce rapport a été élaboré par OCHA Haïti avec la contribution des agences, fonds et programmes des Nations Unies, des ONGs et des partenaires humanitaires. Il contient les dernières informations disponibles au 26 mai 2022 et couvre la période du 24 avril au 26 mai 2022.
POINTS SAILLANTS
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La vague d’affrontements entre bandes armées dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince semble s’être apaisée bien que la situation reste très volatile.
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L’accès aux quartiers affectés par les violences reste très limité mais les partenaires humanitaires retrouvent une marge de manœuvre relative pour réaliser des évaluations et mettre en œuvre leur réponse.
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Sur les 14 sites spontanés de personnes déplacées recensés au plus fort de la crise, seuls trois demeurent ouverts : Kay Castor (Tabarre), l’Eglise Adventiste de Eben-Ezer (Tabarre) et le Centre Classique de Terre Noire (Cité Soleil). Des mouvements de reflux ont été observés.
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Selon les résultats de la dernière enquête nutritionnelle à Cité soleil, un enfant âgé de moins de cinq ans sur cinq souffre de malnutrition aiguë.
APERÇU DE LA SITUATION
Depuis le 24 avril 2022, la zone métropolitaine de Port-au-Prince (ZMPAP) est le théâtre de violents affrontements entre gangs armés. Si les premiers affrontements ont opposé les gangs « 400 Mawozo » et « Chen Mechan » dans le cadre de luttes de territoire dans les communes de Croix-des-Bouquets, Cité Soleil et Tabarre, les violences armées initialement localisées dans les quartiers de Butte Boyer, Croix-des-Mission, Marin se sont intensifiées et propagées notamment vers les quartiers de Santo, Drouillard, Sarthes, Blanchard et plus récemment de Pernier dans la commune de Pétion-Ville. Selon les données de la Matrice de suivi des déplacements (DTM), entre le 24 avril et le 20 mai 20222 , 61 quartiers ont été affectés par des violences généralisées (dont 15 quartiers de Croix-des-Bouquets, 12 de Cité Soleil et 11 de PétionVille) et 41 par des violences ciblées (dont 12 quartiers de Pétion-Ville, 11 de Croix-des-Bouquets et 7 de Tabarre). Si la situation semble s’être apaisée ces derniers jours, elle reste très volatile et imprévisible.
Les populations, forcées de fuir, ont vu leurs moyens de subsistance et leur accès aux services de bases fortement réduits. Le dernier rapport de la DTM3 , couvrant la période du 14 au 20 mai 2022, fait état de 11 centres médicaux et 9 marchés fermés dans les quartiers évalués. A Tabarre par exemple, selon la collecte de données réalisée par Save the Children pour le compte de la table sectorielle Éducation en Situation d’Urgence (ESU) de la Direction Départementale d’Éducation de l’Ouest (DDEO) et ZMPAP, 442 écoles ont fermé, plusieurs ayant été incendiées et cambriolées. Si les écoles de Tabarre ont récemment réouvert leurs portes, la situation est plus préoccupante au niveau de la commune de Croix-des-Bouquets qui a vu 98% de ses écoles affectées par les incidents.
Le bilan provisoire de cette nouvelle vague de violence fait état d’au moins 188 personnes tuées dont 92 personnes nonaffiliées à des gangs et 96 membres présumés de gangs. Quelque 113 personnes blessées, 12 portées disparues et 49 personnes enlevées contre rançon viennent s’ajouter à ce tableau. Cependant, au vu du manque d’accès aux zones concernées qui demeurent sous haute tension, ce bilan pourrait être largement sous-estimé. Les témoignages recueillis et repris dans un communiqué par la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme4, Michelle Bachelet, décrivent des violences extrêmes perpétrées par les gangs, notamment des décapitations, des mutilations et des corps incendiés ainsi que des viols collectifs, y compris sur de jeunes enfants, utilisés pour terroriser et punir les personnes vivant dans des zones contrôlées par des gangs rivaux.
Cette situation a provoqué le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de personnes contraintes de fuir leur domicile afin de se réfugier, dans des familles d’accueil pour la plupart, ou sur des sites spontanés de déplacés. Si l’insécurité et l’instabilité de la situation ne permettent pas d’établir une vision globale du nombre de personnes qui se sont déplacées en raison des affrontements, ce chiffre est d’au moins 16 828 déplacés. La DTM a rapporté une estimation de 34 598 déplacements individuels entre le 24 avril et le 20 mai 20225 . La majorité de ces flux provient des communes de Croixdes-Bouquets et de Cité Soleil. Parmi les déplacés, des personnes appartenant à des groupes vulnérables ont été identifiés : personnes en situation de handicap, femmes enceintes et allaitantes, enfants chefs de ménages, séparés, non-accompagnés et orphelins, personnes blessées ou avec des problèmes médicaux urgents, personnes avec des maladies chroniques, personnes vivant avec le VIH.
L’apaisement relatif de la situation est corrélé à une réduction des flux sur ces derniers jours et l’observation par les partenaires humanitaires de mouvements de reflux de personnes déplacées qui retournent dans leur domicile d’origine. Sur les 14 sites spontanés recensés au plus fort de la crise, la majorité ont fermé trois semaines après le début des violences. Seuls trois sites demeurent ouverts : Kay Castor (Tabarre) qui accueille 300 personnes, le Centre Classique de Terre Noire (Cité Soleil) qui compte 94 personnes dont huit femmes enceintes et six personnes à mobilité réduite, et enfin, l’Église Adventiste de Eben-Ezer (Tabarre) qui abrite 88 personnes.
Cependant, certaines personnes dont la maison a été incendiée ont perdu une grande partie de leurs possessions et parfois leurs moyens de subsistance (boutiques, outils de travail) et sont dans l’impossibilité de retourner chez eux.
Comme mentionné par le Réseau Intégral Haïtien pour le Plaidoyer et l’Environnement Durable (RIHPED) et Tearfund dans le rapport d’évaluation issu de leur visite du site de l’Église Adventiste d’Eben-Ezer, sur environ 100 maisons qui ont été abandonnées par les déplacés principalement originaires de la zone de Haute Cour à Butte Boyer, la moitié a été incendiée.
Par ailleurs, il est important de noter que la situation reste précaire et que de nouveaux incidents pourraient générer d’autres mouvements de déplacement. Des affrontements ont encore été enregistrés ces deux derniers jours au niveau de Canaan, sur la Route Nationale (RN) 1 tandis que trois camions d’organisations humanitaires chargées de denrées alimentaires ont été interceptés et détournés par des bandes armées sur cette même route au cours des dix derniers jours. De plus, certains partenaires rapportent qu’afin d’accéder au port de Varreux, leurs camions transportant de l’assistance humanitaire doivent s’acquitter d’un droit de passage. Tandis que les activités des gangs dans la commune de Martissant paralysent la circulation sur la RN 2 depuis près d’un an, ce port est devenu une plateforme logistique alternative cruciale pour le transport de marchandises vers le Sud, y compris dans le cadre de la réponse humanitaire au tremblement de terre du 14 août 2021. Les commerçants du Grand Sud, dans l’impossibilité d’acheminer sans risque leurs marchandises depuis et vers Port-au-Prince, ont annoncé une grève illimitée contre l’insécurité à partir du 1er juin 2022.
UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs
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